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dernière mise à jour:15/05/08

L’entretien du roi Léopold III avec Hitler à Berchtesgaden le 19 novembre 1940

Durant l’entretien entre Hitler et Léopold III, Paul Schmidt, interprète de Hitler, était présent.

Lisons les paroles de Paul Schmidt, ultime témoin, dans son livre « Statist auf Diplomatischer Bühne, 1923-1945 » et prenons connaissance des événements, vrais et authentiques :

« ….. Un autre souverain utilisa mes services, le 19 novembre. Le roi Léopold de Belgique, qui séjournait dans son pays comme prisonnier de guerre, eut une entrevue avec Hitler.

Quelques semaines plus tôt, sa soeur, la princesse héritière d’Italie, avait été reçue au Berghof et, au cours d’une libre conversation autour d’une tasse de thé, avait parlé de tout une série de questions italiennes et exposé la situation difficile dans laquelle se trouvait la Belgique, sa patrie. Elle avait surtout parlé de questions humanitaires, comme il est naturel pour une femme. Elle s’intéressa particulièrement au sort des prisonniers belges et intervint avec beaucoup de sentiment et de feu pour qu’ils fussent libérés. Par ailleurs, elle dépeignit la situation alimentaire en Belgique sous les couleurs les plus sombres.

Hitler eut une attitude très évasive. S’il s’était trouvé en présence d’un homme, sa réponse sur les deux points eût été certainement un « Non ». Mais il était beaucoup plus amène avec les femmes, particulièrement quand elles étaient jeunes, élégantes, et savaient plaider leur cause avec autant de charme féminin et d’habilité diplomatique que la princesse de Piémont. Elle ne tarda pas à s’apercevoir qu’il se dérobait. « Si vous ne voulez pas discuter de ces choses avec moi, parce que je ne suis qu’une femme et n"entends rien à la politique, dit-elle en vraie fille d’Eve, ne pourriez-vous pas le faire un jour avec mon frère Léopold ? Il ressent très vivement toutes les difficultés que son peuple doit surmonter. Il constituerait pour vous un interlocuteur plus intéressant que moi. »

Je vis tout de suite que Hitler ne tenait pas du tout à avoir un tel entretien.
Une ride coléreuse me montra qu’il se sentait forcer la main.
Il hésita un instant. Puis la ride s’effaça et il se déclara prêt à recevoir Léopold.
Mais il le fit sur un ton qui voulait dire : il ne sortira rien de tout cela.

La princesse fut très satisfaite de son succès. Dans la voiture qui la ramenait à Munich, je dus lui récapituler tout l’entretien. Elle désirait, à ce qu’il me sembla, faire un compte rendu très précis à son frère.

Lorsque j’allai chercher le roi Léopold, quelques temps plus tard, à la petite maison des hôtes, en dessous du Berghof, pour le conduire à Hitler, je me demandai s’il avait connu, au préalable, l’initiative de sa soeur. En le voyant avancer à mon côté, haut et élancé, j’eus l’impression d’un grand élève auquel ses parents imposent une désagréable leçon supplémentaire dont il ne comprend nullement la nécessité. Il me parut monter avec une certaine répugnance les célèbres escaliers qu’avec plus d’espoir et d’un pas plus souple, non seulement le roi Boris, mais aussi Lloyd George, Chamberlain et le duc de Windsor, avaient gravis avant lui.

Hitler l’accueillit avec une amabilité assez glacée. Je remarquai nettement que le roi faisait effort sur lui-même. Lorsqu’il s’assit dans le cabinet de travail, avec un visage où se lisait un curieux mélange de malaise et de tension, j’eus le sentiment qu’il maudissait l’initiative prise par sa soeur.

Hitler essaya d’échauffer un peu l’atmosphère par quelques questions personnelles. Il avait toujours, en ces sortes d’occasions, des mots courtois qui trahissaient son éducation autrichienne. « Je regrette beaucoup les circonstances dans lesquelles vous êtes conduit à venir me faire visite sur le Berghof. Avez-vous quelque désir personnel que je puisse satisfaire ? »

« Je n’ai aucun désir personnel à formuler pour moi-même »,  répondit Léopold du ton assez dédaigneux d’un monarque prisonnier en face d’un tribun vainqueur, ce qui indiquait qu’il avait à présenter d’autres désirs.
Mais il s’efforça de préparer d’abord Hitler, en le remerciant pour ce qu’il avait déjà fait, en particulier pour l’autorisation donnée aux réfugiés belges de regagner leur patrie.
Il ajouta ses remerciements personnels pour les facilités qui lui avaient été accordées et plus spécialement pour le retour de ses enfants d’Espagne.
Léopold n’était pas un bon diplomate.
Il exprima bien ses remerciements, mais sur un ton qui n’était pas persuasif.

Hitler se lança dans un de ses longs monologues sur la situation politique. L’entretien prit meilleure tournure que je ne l’avais craint. Au milieu d’une de ses périodes, Hitler demanda assez brusquement comment Léopold s’imaginait les rapports futurs entre l’Allemagne et la Belgique.

Assez habillement le roi répondit  par une autre question : la Belgique conserverait-elle son indépendance à la conclusions de la paix ? 

Hitler n’aimait pas les questions précises et se déroba en se lançant dans de longes considérations sur l’avenir de l’Europe, mais Léopold ne se laissait pas donner le change. Il demanda une définition précise de l’indépendance intérieure.

Hitler s’impatienta alors manifestement devant tant d’insistance. Il attaqua l’attitude antérieure de la Belgique avec une certaine vivacité, lui reprocha d’avoir violé ses devoirs de neutralité. A l’avenir la Belgique devrait se régler, politiquement et militairement, sur l’Allemagne.

«  Dois-je comprendre que l’indépendance politique de la Belgique sera garantie en contrepartie d’accords politiques et militaires entre elle et le Reich ? » demanda Léopold, élevant aussitôt des doutes sur la possibilité d’une telle solution, à cause de l’amour des Belges pour la liberté qu’il souligna. Il réclama l’indépendance sans contrepartie, se basant sur ce qu’elle était depuis longtemps formellement reconnue par les Anglais, et sur la certitude que les Belges se tourneraient tout naturellement du côté où leur autonomie serait garantie. En ce moment, particulièrement, la radio anglaise ne cessait de travailler le public belge sur ce point extrêmement sensible.

A partir de cet instant, Hitler fut complètement fermé à tous les autres désirs de Léopold. Il était visiblement irrité de ce que le roi des Belges, contrairement à bien d’autres chefs d’état, n’acceptât pas avec empressement une offre de collaboration avec l’Allemagne. Ces autres désirs concernaient principalement les prisonniers de guerre. « Nous avons besoin de la main-d’oeuvre elle-même, dit Hitler. Bien entendu les officiers resteront en captivité jusqu’à la fin de la guerre. » Léopold fit encore des efforts désespérés pour arracher quelques petites concessions dans le domaine du ravitaillement et de l’administration intérieure. Sur les deux points la réponse fût négative.

Dès lors, la mauvaise humeur fut totale des deux côtés. Léopold devint de plus en plus laconique et j’eus plusieurs fois l’impression qu’il n’écoutait même plus, depuis que tous ses souhaits avaient été repoussés. Le visage fermé, il laissa s’écouler le flot de paroles de Hitler, ne réagissant plus que pour la forme. La conversation se transforma en un de ces bavardages sans signification comme j’en avais déjà tant entendu.

Hitler eût vraisemblablement préféré mettre immédiatement fin à la visite. Mais le programme prévoyait un thé avec le roi et sa suite. Il rompit l’entretien bien longtemps avant le moment prévu, mais reçut Léopold chez lui. Le thé fut servi dans la grande salle fermée par la baie vitrée où, quelques semaines auparavant, la soeur du roi avait sollicité cet entretien avec tant d’espérance, entretien qui n’avait apporté que désagrément au roi et déception à Hitler.

Celui-ci abattit cependant encore une grosse carte pour amener le souverain à ses vues sur une étroite collaboration entre les deux pays.
Au cours d’un long monologue sur le nouvel ordre européen, il fit comprendre que la Belgique, si elle s’appuyait sur l’Allemagne, recevrait non seulement une garantie militaire, qui la dispenserait d’avoir désormais une armée, mais encore certains agrandissements de territoire dans le nord de la France jusqu’à Dunkerque et à Calais.

Le roi resta muet. Avait-il même entendu ? J’attachai un soin tout particulier, naturellement, à la traduction de cette indication.
Mais Ln’avais qu’un homme déçu, apathique, qui ’entretien l’intéressait-il encore ? Je ne pus m’en rendre exactement compte.
En face de moi je semblait npas de réalisation rapide, Hitler ayant ’avoir qu’un seul désir : « que la classe fût bientôt terminée ».

Mais ce désir ne connut pas de réalisation rapide, Hitler ayant recommencé à parler, répétant encore pendant longtemps ce qu’il avait déjà dit dans son cabinet de travail et un peu plus tôt.

Les événements ultérieurs montrèrent que mes impressions devaient avoir été justes. Hitler ne revit jamais Léopold.

Rien ne changea en Belgique.
L’administration ne fut pas modifiée et la situation alimentaire resta aussi mauvaise qu’auparavant.
Les prisonniers belges ne furent libérés qu’à la fin de la guerre.
Léopold lui-même demeura prisonnier et, avant la fin des hostilités, fut emmené en Allemagne en dépit de ses protestations.

Hitler ne lui pardonna jamais de ne pas avoir accepté ses offres à Berchtesgaden. « Il ne vaut pas mieux que les autres rois et princes ! » dit-il occasionnellement, alors qu’avant cette visite, il avait souvent eu des mots de louanges pour le « roi Léopold qui avait empêché une inutile effusion de sang en 1940 ».

Les notes que j’avais prises au cours de cette entrevue ont joué un certain rôle en Belgique, en 1945, dans les discussions de politique intérieure au sujet du retour du roi sur le trône, sous le nom de « Rapport Schmidt ». Je ne le sus que beaucoup plus tard, par hasard, et constatai que les Alliés n’avaient trouvé apparemment que la partie des notes relatives à l’entretien proprement dit, alors que celles qui se rapportaient à la conversation de l’heure du thé, indubitablement beaucoup plus importantes à cause de l’offre faite par Hitler, semblaient perdues. Je fus bien interrogé par un représentant belge lors des interrogatoires de fonctionnaires allemands en 1945, mais on ne me mit pas mon rapport sous les yeux et on ne me dit pas de quoi il s’agissait au juste. J’aurais pu facilement faire disparaître toutes les obscurités si j’avais été correctement renseigné.

J’appris par la suite que l’exactitude de certaines de mes notations avait été contestée. J’aurais, prétendument, rapporté certaines paroles du roi de la façon dont elles plaisaient à Hitler et non pas telles qu’elles avaient été prononcées.

C’est une opinion complètement erronée parce que Hitler, normalement, ne voyait jamais mes notes, et parce que je n’avais pas la moindre raison, en 1940, de prendre parti dans la question du retour du roi qui se posa en Belgique en 1945. Dan le cas du roi des Belges, j’eus alors l’impression (que j’ai encore aujourd’hui), qu’il n’avait absolument rien cédé à Hitler, et j’ai rédigé mes notes en conséquence. Il suffit de se donner la peine de lire celles-ci dans l’original allemand, avec l’entendement politique nécessaire……. «  

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